Madame G. - note
Emilia Dvorianova, Madame G. Sofia, éd. Fénéia, 2001, 344 pages
Le roman Madame G. est certainement l’une des œuvres les plus intéressantes et remarquées que la littérature bulgare ait produites durant ces dix dernières années.
L’action a lieu à Sofia et couvre la période des années 30 aux année 70 du XXe siècle. Ce qui fait sa singularité, c’est sa structure en miroir qui fait s’entrecroiser les thèmes et le vécu des différents personnages. Deux d’entre eux se détachent, parce qu’ils «mènent» la trame narrative dans chacune des deux parties de l’œuvre.
La première partie se compose principalement du journal intime du héros principal qui le relit au bout de plusieurs années, après avoir rencontré par hasard la femme (Madame G.) qui a toujours été l’amour secret de sa vie. En proie à une étrange obsession dans sa recherche de la femme idéale, c’est elle que cet homme a choisie, qui plus est le jour où elle s’est mariée, pour satisfaire sa pulsion d’impossible perfection. Durant de nombreuses années, il observe sa vie de l’extérieur et l’inscrit (l’invente) dans d’innombrables cahiers à la calligraphie soignée, qui semblent destinés à faire de la fiction une réalité. En transformant la vie en texte, l’homme perd peu à peu tout lien avec la vie au point de ne plus pouvoir distinguer les événements réels des événements fictifs. Son incapacité psychologique à approcher Madame G. le pousse constamment à des actes qu’il estime lui-même inacceptables (par exemple, ses visites à des prostituées et leur « meurtre ») et qu’il enregistre dans son journal avec la même application. La crise arrive lorsque « l’idéal » façonné par ses propres textes est confronté à la réalité : le héros-voyeur apprend la liaison secrète de Madame G. avec le frère de son mari. Cette inadéquation aussi flagrante qu’inacceptable avec la fiction de la perfection féminine qu’il s’était construite est le véritable drame de sa vie, tout s’écroule…
La seconde partie du roman reflète la première de manière bien particulière. Si le héros-voyeur «écrit» une vie pour en faire une perfection fictive et une norme idéale, l’héroïne du roman, Madame G., elle, se revit à travers le miroir du regard extérieur. Maintenant femme d’âge mûr, grand-mère de trois petits-enfants, elle lit les notes secrètes de son « amant » idéal et découvre ainsi des pans insoupçonnés de sa propre existence. C’est fortuitement qu’elle tombe dessus après le suicide de leur auteur : elles lui sont remises par la police qui enquête sur le suicide. Elle n’en soupçonnait pas l’existence et découvre en les lisant un raccourci étrange de tout ce qu’elle a vécu et qu’elle croyait avoir compris. Brusquement, son propre destin prend un tout autre relief, elle se trouve confrontée à la question de sa propre identité et de la manière dont elle a été transformée en – et dans – le texte. Vie et texte s’entremêlent à nouveau : dans quelle mesure le vie est-elle texte et dans quelle mesure le texte est-il vie ?
Emilia Dvorianova et Marie Vrinat