Rhapsodie Balkanique (note de lecture)

Maria Kassimova-Moisset

Rhapsodie balkanique

roman, Sofia, Colibri, 2018, 230 pages

Note de lecture

 

Bourgas, port de la mer Noire, dans le Royaume de Bulgarie, 1924. Myriam (surnommée Miya), née par une nuit « où la mer a gelé », de Theotitsa, grecque, et de Todor, bulgare, après de nombreux enfants morts nés ou en bas âge, rencontre Ahmed, le vendeur de glaces. Ahmed l'orphelin, dont le père a quitté la Turquie avec ses deux fils pour s'installer en Bulgarie, dans l'espoir d'une vie meilleure. Mais les musulmans y sont trop pauvres et les chrétiens trop méfiants ou hostiles pour les aider. Myriam est une jeune fille à l'esprit indépendant, fière, obstinée. Pour l'amour d'Ahmed, elle brave le refus de ses parents de la voir épouser un infidèle et quitte leur domicile pour vivre avec lui, maudite par Theotitsa. Mais ni le khodja ni le pope ne veulent les marier, lui le musulman et elle la chrétienne, et c'est une vie d'errance qui commence, de chambre en chambre, quand on veut bien leur en louer une, et d'humiliation : il suffit que Miya apparaisse au marché pour que l'on chuchote bien haut dans son dos « Myriam la putain, la putain »... Même la naissance de leur petit garçon, Khaalim, ne fléchit pas Theotitsa : pour elle, ce n'est qu'un bâtard.

Ahmed propose finalement qu'ils aillent à Istanbul par la mer. Ils y trouvent un petit appartement situé sous celui d'une bonne grand-mère turque, Fatme, qui les prend sous son aile protectrice. Mais Ahmed, atteint de tuberculose, meurt peu de temps après et Miya, restée seule avec ses deux garçons (entre temps est né Karim), rejetée par la famille d'Ahmed, est contrainte de travailler dur pour payer le loyer et assurer leur subsistance. Renvoyée de son travail parce que le fils de ses patrons arméniens est tombé amoureux d'elle, elle doit se rendre à l'évidence : elle ne peut plus rester à Istanbul et doit retourner à Bourgas par bateau. Elle n'a d'argent que pour deux billets et se résout alors, sur les conseils de Fatme, à inscrire Khaalim dans une bonne école avec un pensionnat : Khaalim, le petit garçon qui a dû grandir trop vite et être trop tôt responsable. Miya devra renoncer à le revoir, en faire un fils de la République turque, c'est le prix à payer pour lui assurer un avenir.

Le jour du départ de Miya et de Karim, Khaalim qui se sent seul et étranger dans son école à la discipline de fer, sans sa mère et sans son frère, apprend incidemment que ces derniers prennent le bateau le jour même pour la Bulgarie. Il parvient à s'enfuir, court, tombe, se blesse, est aidé par des Turcs et finit par arriver au port au moment où le bateau vient de lever l'ancre. Sa mère, dressée sur le pont, regarde le port et voit son fils... Le bateau revient et prend le petit garçon à son bord.

Cette histoire, celle de la grand-mère et du père de l'auteure, telle qu'elle lui a été racontée, telle qu'elle s'en souvient, ressemble à celle de bien des déplacés en Europe balkanique et centrale. Ce qui en fait un livre, un texte, et non une énième et banale « saga familiale », c'est l'écriture, sans pathos inutile, sans émotion facile. Une écriture qui frappe par son rythme, ses images inhabituelles, ses associations qui font vivre des personnalités fortes (Theotitsa, Myriam, Khaalim), leurs conflits, leurs combats dans les Balkans du début XXe siècle, dans les États-nations hérités de l'Empire ottoman, de sa diversité religieuse, culturelle, linguistique, ses contradictions. Des Balkans marqués par des conflits générationnels et des strates de temps différents : Theotitsa incarne la société patriarcale traditionnelle, empreinte d'une religiosité superstitieuse ; Miya, qui se bat pour le droit d'aimer l'Autre, le droit de vivre comme elle l'entend, le droit au respect mutuel et à la tolérance, incarne une génération de femmes désireuses de s'émanciper d'un modèle qui les étouffe.

La narration, qui s'attarde tour à tour sur les différents personnages de cette histoire, est entrecoupée par des dialogues-monologues menés entre eux et la narratrice qui cherche à comprendre et à mieux connaître ceux de ses ascendants qu'elle n'a pas connus et ceux qu'elle a mal connus. Elle transporte son lecteur dans l'Histoire – de la Turquie kémaliste et du jeune État bulgare – par l'histoire mouvementée mais emblématique de cette famille bulgare, grecque et turque.

Un projet de film est en cours en Bulgarie d'après le roman, avec l'aide du Centre national du film (Bulgarie).

Marie Vrinat-Nikolov

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