Mères (note de lecture)
Mères, Sofia, Razvitié, 2004
Note de lecture
Après un premier roman, Eminé, paru et remarqué par la critique en 2001, Théodora Dimova, fille du grand écrivain bulgare Dimitar Dimov, connue jusqu’alors en tant que dramaturge, nous livre son second roman, Mères, qui a déjà reçu le prix «Razvitié», accordé chaque année à un roman.
Il a été inspiré à son auteure par un fait divers, un acte de violence inexplicable dans un lycée bulgare. Théodora Dimova a voulu montrer que le manque d’amour des mères ou des pères, l’abandon, la mésentente entre les parents, étaient responsables de la violence des enfants.
Mais ce roman suscite beaucoup plus de questions, et son titre, Mères, est significatif: comment être mère lorsqu’on a soi-même eu une enfance difficile, qu’on a été abandonnée par l’un de ses parents? Comment être mère / père dans une société encore chargée de son passé totalitaire? Quant on a soi-même été brisé par le totalitarisme mais que l’on veut assurer à sa famille une vie digne, financièrement, mais aussi moralement? Comment concilier la nécessité de vivre décemment, en travaillant à l’étranger, et le suivi affectif et éducatif que l’on doit à son enfant resté en Bulgarie? Comment être mère lorsqu’on a eu un enfant trop jeune et pas vraiment désiré? Etc.
Le roman est construit comme un cycle de récits dont chaque narrateur est un ou une adolescent(e), où se confrontent le destin des parents et celui de leurs enfants, la génération qui devrait être porteuse d’espoirs d’une vie meilleure: Andreia, dont la mère est prostrée dans une dépression frisant la folie, parce qu’elle a été abandonnée par son père toute petite, et qu’elle est persuadée de l’avoir tué pour lui avoir prédit qu’il mourrait s’il partait loin d’elle; Lia qui ne vit que par la danse et rêve tellement d’aller au conservatoire de danse de Paris. Mais comment financer ses études? Un jour, son père, écrivain, apprend qu’une fondation sponsorisée par des maffieux a décidé de lui accorder un prix qui permettrait notamment de payer les études de Lia en France. Mais son père fera le choix de la dignité, il refusera le prix au désespoir de sa fille… Dana, la grosse et intelligente, qui aide ses copains lorsqu’elle le peut, et vit seule avec son père alcoolique, depuis que sa mère est partie en Grèce s’occuper d’une vieille dame pour gagner plus confortablement sa vie et envoyer de l’argent à sa famille en Bulgarie; Alexandre, enfant adopté, qui, même s’il ne l’apprend au détour d’une dispute qu’à l’âge de quatorze ans, l’a toujours compris au manque d’amour de sa mère qui vit mal la maternité, alors qu’il est très complice de son père; elle finit par partir… Nicolas,que ses parents, trop jeunes, laissent à quelques mois seulement dans une crèche à la semaine; certains week-ends, ils oublient même d’aller le chercher… Il sera traumatisé par une soirée très particulière où, au lieu de dormir gentiment dans sa chambre, il surprend ses parents et leurs invités, nus, pratiquant l’échangisme. Deian, qui souffre d’être séparé de sa sœur jumelle sans laquelle la vie est si insupportable; leurs parents se sont séparés et aucun ne veut assumer les deux enfants en même temps. Kalina qui n’a pas eu d’enfance, entre le manque d’argent, fléau de la société bulgare, sa grand-mère qu’elle chérit mais qu’elle doit prendre en charge après une crise cardiaque, et sa mère qui se laisse aller, cette mère un peu hypocondriaque qui ne s’intéresse qu’à elle-même …
Dans leur souffrance, tous trouvent réconfort et écoute auprès de Iavora leur jeune et nouvelle professeure. Mais qui est cette Iavora, dont la personnalité, tel un puzzle, se construit et se dessine au fil des différentes narrations? Car chaque récit se termine par un interrogatoire mené par le juge d’instruction…
Iavora les écoute, Iavora leur permet de vivre malgré tout, malgré tous, Iavora les aide, elle trouve toujours une issue aux problèmes. Mais voilà, un jour, elle leur donne rendez-vous pour leur annoncer qu’elle va partir loin, avec son ami. Elle les abandonne. Et ils ne le supportent pas. Et l’amour se transforme en haine, et l’irréparable est commis.
Marie Vrinat-Nikolov