Lettres pour origamis (note de lecture)

Lettres pour origamis

roman, Sofia, éd. Ergo, 2016

Note de lecture

Dans la Bulgarie des années 1950, années noires de mise en place du communisme totalitaire, une jeune fille, Eli Hadjidimitrova, est assignée à résidence surveillée à une cinquantaine de kilomètres de sa ville, K., dans le village de R., dans le nord-est de la Bulgarie, non loin de la frontière roumaine. Elle est institutrice dans une école pour enfants d'assignés à résidence comme elle, et doit, tous les soirs, faire acte de présence auprès de la secrétaire locale du Parti, rendre compte de ses faits, gestes et dires, montrer les leçons qu'elle a préparées pour le lendemain et surtout signaler ce qu'elle a vu et entendu de la part de ses élèves, de leurs parents, de ses collègues. Entre janvier et décembre 1951, elle tient un journal parce qu'elle sait que « le passé peut être sauvé par les mots et les pensées » et parce que c'est le seul endroit où elle peut parler librement.

Dans la Bulgarie de 1989, année de la « grande excursion » (euphémisme pour la campagne qui a abouti au déplacement d'environ 200 000 Turcs de Bulgarie vers la Turquie quatre ans après la campagne menée avec violence pour qu'ils changent de noms), de manifestations, de création d'organisations plus ou moins dissidentes, qui ont abouti à la destitution de Todor Jivkov le 10 mai, la Tsigane Mevleda, qui fut la confidente d'Eli Hadjidimitrova et qui veille maintenant sur la famille de sa fille, Irena, confie au mari de cette dernière, Bogomil, le journal tenu par Eli. C'est ainsi qu'il entre dans l'intimité de sa belle-mère.

Deux Bulgaries, deux époques se découvrent alors parallèlement au lecteur, la Bulgarie dans laquelle se met en place le totalitarisme, une Bulgarie sombre, violente et oppressante qui apprend à ruser, mentir et se taire pour survivre et épargner ses proches ; la Bulgarie qui vit ses derniers mois de communisme. Et ces interrogations qui trouvent plus ou moins leurs réponses au fil du récit et de la lecture du journal d'Eli Hadjidimitrova : pourquoi et par qui Eli a-t-elle été assignée à résidence ? Qui est Alexandre Roussanov qui aurait péri dans un accident de voiture au moment où Eli, qui ne survit que grâce à leur amour, comprend qu'elle attend un enfant de lui ? Qu'est-il arrivé à ses parents à elle ? Quelle est cette angoisse, ce sentiment d'impuissance, qui poussent Bogomil à « geler » sur place, dans la rue ?

Ce roman polyphonique est porté par une écriture, proche du « réalisme magique », qui, passant souvent d'un sujet à un autre, de la rêverie au réel, sait faire alterner subtilement d'un côté, évocation du quotidien dans sa « réalité », avec ses objets, ses événements, ces petits détails qui constituent la vie des hommes et leur communication, leurs désirs, leurs plaisirs, leur quête d'eux-mêmes et d'une réalisation improbable si l'on n'est pas affilié au parti ou qu'on est la fille d'Eli Hadjidimitrova, leurs frustrations et leurs angoisses ; de l'autre, évasion salvatrice dans l'imaginaire, le rêve et les rêves, les mythes, pour échapper à la fois au silence de plomb et au piège de questions embarrassantes auxquelles il n'est pas de réponse possible sans compromission, pour s'affranchir d'injonctions humiliantes et qui portent atteinte à la dignité humaine, pour oublier, l'espace d'un instant, une réalité dont la brutalité pousse à la folie ou au désir de suicide.

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