Des tulipes noires pour Kant (note)
Lioubov Kroneva, Des tulipes noires pour Kant, Sofia, Janet-45, 2004, 178 pages.
Des tulipes noires pour Kant ou quelques journées peu ordinaires de la vie d’Emma V. que l'on peut résumer par cette phrase extraite du livre : "Elle se dit que la vie est plus fantastique que le fantastique. C’est un sujet pour Gogol, ça."
Ou plutôt pour Boulgakov, car ce roman n'est pas sans rappeler l'imaginaire, la fantaisie, le burlesque boulgakoviens.
Ce jour-là, tout commence pour Emma V., jeune femme divorcée, critique d’art et traductrice, par deux rencontres inhabituelles (Emma V. a beau ne pas croire à des bêtises pareilles elle est pourtant intiment persuadée que ce sont des forces impures, maléfiques) : tout d’abord avec un étrange jeune homme à la crinière entretenue avec soin qui s’achète deux tomes de Dostoïevski et semble bien faire du trafic d’icônes ; elle le retrouve un peu plus tard et apprend que c’est un grand admirateur de Kant, qui cultive chez lui des tulipes noires. Ensuite, c’est cette actrice à la retraite, reconvertie en peintre à la petite semaine, qui veut absolument faire son portrait pour déchiffrer les signes de ses yeux…
À partir de ce moment-là, la vie d’Emma V. suit un cours particulier et les « miracles » s’enchaînent. Veska, la scrupuleuse comptable de la rédaction de la revue où elle doit recevoir des honoraires semble elle aussi avoir rencontré le curieux jeune homme et sort de cette rencontre toute chamboulée du coup, elle multiplie par dix les honoraires d’Emma V. Le lendemain, Emma V. se rend à la rédaction, bien décidée à rendre cet argent, mais là, surprise : lorsqu’elle ouvre l’enveloppe devant la comptable, il n’y a dedans que le montant de ses honoraires, et Veska prétend ne rien comprendre aux explications d’Emma V…. D’ailleurs, toute la rédaction est en émoi : le fameux jeune homme aux tulipes noires, admirateur de Kant, est passé par là et, au moment de repartir, Emma V. se heurte à lui. Cette fois-ci, il se présente comme un docteur en psychiatrie, avec pour assistante Zizie, la portraitiste de la veille. S’ensuit alors une plaisante diatribe sur La critique de la raison pure, une critique drôle de la vie politique et littéraire en Bulgarie
Tout le charme de ce livre réside dans un humour tout en finesse, l’élégance, la légèreté, la drôlerie : l’auteure, Lioubov Kroneva, est traductrice de russe et l’influence de la littérature russe, notamment de Boulgakov, est tout à fait perceptible dans le jeu et les clins d’yeux adressés au lecteur, la drôlerie et la distance qui caractérisent la narration, le voyage dans la culture européenne (allusions à Rousseau, Voltaire, Stendhal, Gogol, Kant, Dostoïevski, Gorki, etc.) pour le plus grand plaisir du lecteur.
Marie Vrinat-Nikolov