Miglena Nikoltchina – poèmes

Extrait du recueil Tristesse pour Daltchev, 1993

La lettre

Qui va lancer mon nom comme un écho
des espaces vides où dorment
lointains et ténèbres? Quelle main
va griffonner une flèche de craie,
jeu ancien où l’obscurité
embrassait la cour et le monde?
Là, je le sais, une lettre est cachée.
Rires, tintamarre, elle est passée de main
en main qui l’ont glissée dans un buisson
ou sous une pierre. Puis
les enfants se sont cachés.
Les interstices de lumière
fleurent bon, le dîner est servi.
Papillon immense, le journal
bruisse impatiemment. De son cœur
jaloux la lampe façonne son monde blond.
Mais la flèche
tel un serpent phosphorescent se glisse
à travers son étreinte, dehors.
Une cour cachée,
qui ne cesse de croître
dans les herbes naguère fleuries, dans les gouttes
qui demain vont tinter. Où sont-ils?
Ils chuchotent sans doute et rient
intérieurement, pour que je n’entende pas. Ah, c’est bien,
disent-ils sans doute, elle a perdu la flèche;
Nous l’avons mise à sa place et tracée
clairement, blanche, pour qu’elle frémisse,
comète dans l’obscurité. Oui, c’est bien,
elle ne remarque rien, dressée
comme sous la pluie dans le noir et fécondés
les points cardinaux fleurissent.
Mais peut-être ne disent-ils rien, peut-être
ne se cachent-ils plus depuis longtemps, fondus
dans le silence des objets.
Et la lettre on dirait
grandit de mon absence.

Traduit du bulgare par Marie Vrinat

L’amoureuse

Où es-tu, jardinier des vagues?
Toi, dieu aux boucles d’écume, roi
des algues? Regarde, elle vient, l’amoureuse à la barque
et ton nom
elle appelle avec la voix des mouettes.
Si petite est la barque qu’elle fond presque
comme une vague parmi les vagues et pourtant
une main la fait avancer, ce qui fait avancer
la main, c’est la tristesse, et la tristesse,
cette mer.
De la mer,
sors, et des profondeurs
peu à peu acquiers épaisseur
pour que les mains humaines de l’amoureuse
étreignent ton corps salé.
Ne la fuis pas – elle te promet
de ne pas inquiéter les volutes chantantes
de ton ouïe immortelle
par des mots tristes.
Non, il est impossible
que la parole affligée des hommes
chuchote à ton oreille, elle veut seulement
se laisser aller à ton étreinte, cet horizon,
sourire dans tes yeux de brise,
avoir un regard comme le tien éclairci
sans mémoire. Sors, et contre sa peau chaude
presse ton corps lisse.
Vois comme elle combat les vagues celle
qui t’attend, la mer on dirait
s’écoule de ses rames
et toi
tu sembles jaillir du clapotis où
le bois rencontre la vague.
Elle ne sait plus l’amoureuse
si la mer expire sa balançoire
et l’aspire encore dans son lent sommeil
ou si c’est elle
qui sculpte la mer de sa rame. Tu
t’en moques bien. Soudain dans un jaillissement d’écume
de tes deux mains de bronze tu saisis la rame et
rejettes la tête en arrière
dans un rire silencieux. Tu dis: Ah, quand
seras-tu mienne vraiment?
Puis aussitôt
tu plonges dans le bleu, la transparence,
qui de nouveau est toi, et dans l’écho
d’invisibles rouleaux tu disparais…

Traduit du bulgare par Marie Vrinat


Extrait du recueil Asymbolie, 1995

La tour inversée

Dans la plaine de glaise rouge
j’ai commencé à édifier ma tour.
– Qu’est-ce qui effleure mes mains,
comme des nuages de satin léger?
– Ce sont les doigts satinés de la terre,
la soie de l’humus qui t’effleure.
J’ai posé d’autres pierres sur les murs,
murs puissants dans la plaine de glaise.
– Quel parfum caresse l’odorat, comme si
des étoiles fleurissaient sur des tiges obscures?
– C’est l’odeur de lacs souterrains,
filets limpides, sources profondes fleurissent.
J’ai posé d’autres pierres sur les murs,
de plus en plus haut s’élevait la construction
au-dessus de la plaine de glaise rouge.
– Et cette lumière que je vois, qui
enveloppe le monde de clarté et de paix?
– C’est le feu, ma fille, le feu,
ce sont les tigres de la flamme, l’exaltation
de la fièvre et des incendies brûlants.
Mais je veux encore poser des pierres!
Je veux que les murs grandissent encore!
Que la plaine disparaisse
et fonde sa glaise rouge.
– Voici: j’entends le silence clamer
un dernier oui, réponse suprême.
Je perçois le monde entier dans le son du silence!
– C’est le bruit du vent qui hurle,
les tourbillons qui gémissent, ce n’est pas
le silence, ce n’est que rugissement sans mots!
Oh, quel châtiment m’attend!
Oh, comme je vais payer mon audace!
C’est une tour inversée que j’ai édifiée,
en rêve je me suis éveillée, le temps
envoûté retournait à ses sources,
les éléments fouettent leur alphabet
et toutes les langues s’effilochent.

Traduit du bulgare par Marie Vrinat

La sœur de Penthésilée

Sur son chemin il vit Penthésilée
serpent couleur de cendre aux yeux d’émeraude.
Reine, elle est rapide ta grise jument
et ta flèche, et tes doigts.
Sans pêche abondante elle ne rentre pas,
Penthésilée,
sans l’odeur de sang et de viande fumante.
Les fauves ont une respiration brûlante dans
la pleine verte, des milliers d’yeux regardent dans l’ombre.
Le grondement lointain d’eaux limpides
chuchote pour le serpent dans un tourbillon sonore.
Serpent couleur de cendre aux yeux d’émeraude.
Reine, elle est rapide ta grise jument –
elle ne s’est pas arrêtée en chemin,
et ta flèche n’est pas revenue,
et tes doigts dans un mouvement inverse
n’ont pas fait tourner le chemin poussiéreux.
Seul le vent tournoie au-dessus des cèdres,
l’onde tourbillonne dans les trous d’eau,
le chant de l’alouette ondoie.
Les chevaux sont passés au-dessus du serpent,
serpent couleur de cendre aux yeux d’émeraude.
La plus rapide était la sœur de Penthésilée,
cavalière au visage de soleil et à la voix
mère de l’aurore.
Mais dès que la jeune fille passa sous les cèdres,
les ombres vertes l’entourèrent.
C’était un long jour de chasse, un long chemin
pour le soleil entre le Taureau et le venin
du Scorpion.
Parmi les ombres le sanglier fuyait,
cœur sauvage dans un filet de cœurs humains.
Plus rapide que la flèche de Penthésilée
était sa sœur, cavalière au visage de soleil.
Le serpent enroulait doucement ses anneaux,
une langue de rubis a lui entre ses dents.
La flèche vole, droite, mais se tord,
la jument prend le chemin le plus droit.
Reine, ta sœur est morte,
transpercée par ta flèche.
Reine, le soir est tombé, et la Voie lactée
se mord la queue constellée.
D’une chasse abondante Penthésilée revient,
portant la jeune fille toute froide,
c’est son destin de cendre qu’elle tient
aux yeux d’émeraude.
Au lieu de sa sœur un glaive elle apporte
rouillé de sang, la reine Penthésilée.

Traduit du bulgare par Marie Vrinat

Achille et Penthésilée

La reine des Amazones se meurt,
son visage se retire dans l’obscurité.
Achille est là, à son glaive appuyé et regarde
dans la pénombre dense de poussière et de sang:
la reine des Amazones se meurt.
La mort est venue désunir lorsque
l’amour nous a unis.
Le vieuxpasseur attend, une sueur blême au front
le long de berges indistinctes, d’eaux sans éclat.
Une jument à la robe gris foncé frappe sur les pierres
et hennit dans les ténèbres face à l’horizon.
Il y aura lichens et traces de sabots
là où est passée
la reine des Amazones.
Achille est là, à son glaive appuyé,
enveloppé du mystère enténébré de l’univers:
la reine des Amazones se meurt.
L’amour nous a-t-il unis et un court instant
la mort nous a-t-elle désunis?
Sans bruit les rames noires plongent
dans des rivières incolores, le long de lieux informes.
Une jument à la robe gris foncé galope dans la nuit,
elle hennit dans les cœurs, éveille les chauve-souris.
Achille est là, à son glaive appuyé,
il résout l’énigme de l’amour:
la reine des Amazones se meurt.
Mais avec la mort est venu l’amour,
la mort nous a unis, l’amour désunis.
Le vieux passeur essuie son front,
il mendie du pain blanc, un vin lourd.
À partir d’aujourd’hui elle sera dans les racines,
dans les ongles et les pattes, dans les sucs,
dans les champignons, la bave des escargots, la mousse,
la reine des Amazones.
Appelons la terre imbibée de sang Penthésilée,
donnons aux herbes son nom.
Et ce n’est ni l’amour, ni la mort, mais un instant
unique qui nous a unis, des siècles nous ont désunis!
Il ne reste plus que le combat, le cri
déchirure entre les étoiles.
Achille est là, à son glaive appuyé,
et il comprend qu’il est mortel car
la reine des Amazones se meurt.

Traduit du bulgare par Marie Vrinat

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