Project Dostoïevski (note)

Radoslav Parouchev, Project Dostoïevski, Sofia, Ciela, 2009.

 

« — Hé, gros, c'est qwa, ça ?! l'interrompit Mia d'un ton franchement indigné.
— Ça, sœurette, c'est un extrait de la suite des Frères Karamazov qu'on vient de publier. Quelque chose comme la suite très attendue du livre le plus important écrit après la Bible, okay ? On pensait que, de son vivant, Dostoïevski n'avait écrit que le premier tome, mais voilà que récemment, dans une cave, incroyable mais vrai, on a découvert le manuscrit disparu du second tome.
— Et qu'est-ce qui fait qu'elle est si importante, cette connerie ?
— Eh bien, parce que dans un bon nombre de lettres, de journaux intimes, etc., Dostoïevski a déclaré plus d'une fois que, dans la suite des Frères Karamazov, il décrirait le Surhomme, c'est-à-dire qu'il donnerait la recette définitive de l'éternel bonheur. Et tout le monde espérait que, grâce à ce livre, sa vie serait meilleure... »

    Nous sommes en 2008, dans la ville utopique/dystopique de Santa Sofia, capitale des affaires de l'État d'Europe orientale, située à vingt kilomètres d'une côte paradisiaque. Si paradisiaque que c'est là que les Anglais envoient pour les enfermer dans des bunkers ultra-modernes leurs vieux qui ont le mauvais goût de ne pas vouloir mourir. Entre flash-mobs des écolos qui s'opposent à la décision du gouvernement de dynamiter les volcans éteints, sans se rendre compte qu'ils sont manipulés par les trusts de l'écolo et du bio, banques qui fleurissent, riches qui deviennent de plus en plus riches et pauvres qui s'appauvrissent de plus en plus, société de consommation et ultralibéralisme triomphants, la découverte, dans la cave d'un descendant d'un Russe blanc réfugié en Bulgarie, du second tome des Frères Karamazov, que l'on croyait perdu, fait l'effet d'une bombe : on se l'arrache littéralement, si bien que, quelques jours après sa parution, les éditeurs procèdent à un deuxième tirage de 500 000 exemplaires, assorti d'un bonus consenti par un opérateur de téléphonie mobile et d'une offre de crédit bancaire à 0 %.

Project Dostoïevski ou comment la culture, même « classique », même « Dostoïevski » qui n'est pas parmi les auteurs réputés les plus drôles et « faciles », devient un produit de consommation et de pub (c'est là qu'apparaît la lessive « Fédia Do » et que le magazine Glory Halelujah montre en première page une call-girl vieillissante, les seins presque nus à demi-cachés par un grand portrait de Dostoïevski).

   Alexeï K., lassé de sa vie d'employé de banque (qu'il quitte d’ailleurs), sent que quelque chose cloche avec cette suite, que quelqu'un joue à un jeu curieux avec l'Histoire : l'écriture de ce second tome n'a rien à voir avec celle de Dostoïevski, son auteur préféré ! Il est bien résolu à dénouer l'affaire... le hasard va l'aider : le soir de son trente-troisième anniversaire, alors qu'une panne de courant due à l'orage l'amène à descendre dans sa cave, il tombe (littéralement d'ailleurs) sur un trou temporel, un « portail » qui le transporte dans une dimension, une réalité parallèles dans laquelle il se retrouve chez... Dostoïevski en personne, en train d'écrire sa véritable suite des Frères Karamazov. Détail : c'est l'hiver de 1886, Dostoïevski a 65 ans... or, l'histoire nous dit qu'il est mort à 59 ans en 1881...). Affrontant dangers et situations dramatiques entre ces mondes parallèles (Alexeï se retrouvera même emprisonné dans la forteresse de Petropavlovsk où il retrouvera... Raskolnikov, héros de Crime et Châtiment), il finira par comprendre la mystification :
    « D'un autre côté, j’ai écrit un livre dans lequel, précisément, votre débilité est l'objet de raillerie et d'ironie, mais, du moins, de manière à ce que le consommateur lambda, chez vous, ne puisse comprendre que je me moque de lui. [...] Pauvres idiots ! Pourquoi vous faut-il un second tome ? Le premier, vous l'avez vraiment lu ? [...] Pauvres idiots, vous avez suivi la voie toute tracée d'avance, la procédure raccourcie, pour devenir des surhommes, parce qu'on vous a dit que c'était à la mode, or, vous n'avez même pas lu L'Idiot !"
    Il comprendra aussi que « nous sommes tous les héros de l'un des tomes du Livre de la vie »...


Radoslav Parouchev, avocat et écrivain établi dans le champ littéraire bulgare du début du XXIe siècle signe avec Project Dostoïevski une uchronie et anti-utopie drôle et caustique à la fois, servie par une écriture qui joue avec mise en abyme, pastiche, parodie, burlesque, jeu, intertextualité, métafiction (intrusion en italiques de la voix du rédacteur qui s'adresse au lecteur ou à l'auteur, de l'auteur qui répond), jeu avec les langues et les registres (argot américain ou bulgare).

Sur la 4e de couverture, Project Dostoïevski est comparé aux romans de Viktor Pélévine, de William Gibson, au cinéaste Terry Gilliam.

 

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