Mirella Ivanova – poèmes
Mirella Ivanova – poèmes
La séparation n'en finit pas
Je parcours ses sentiers, je sais ce que c'est
de ramper avec la poussière qui colle
et la peur aux genoux et aux coudes,
d'être éreintée, de se traîner, tituber, se relever,
lorsque tout t'a abandonnée, forces,
horizons, arguments, et l'air.
L'air ne suffit jamais, raréfié
sur ses sentiers, assourdissant, tu n'entends
que bougonnements, plaintes et gémissements.
Je parcours ses sentiers, je sais ce que c'est à 160km/h,
malgré les règles, malgré les cadavres,
l'extase de la destruction te porte,
voltigent dans les airs braises, pailles, cendre et mégots,
raison, signaux d'avertissement, résignations, rhétoriques,
soupçons, sentiments, instincts, et même
l'instinct de conservation, offenses et vengeances sifflent,
les reproches tambourinent, les leçons pleuvent,
contraintes et abîmes lancent des éclairs, bouteilles vides
de vodka bon marché, assiettes volantes, serpents et lézards,
pierres cassées et haine,
mais pourvu que tu partes, que tu partes pour toujours.
Il arrive que grossisse comme un fruit
sous ton coeur, qui se nourrit de toi
alors que tu vas et viens dans la ville, dans ta maison,
prépares à manger, repasses, fais la lessive, étends le linge,
il te ronge comme un fromage,
absorbe le calcium de tes os amollis,
sape ton allure et
à travers des moustaches de confiture
t'enjoint d'une voix d'ange tout puissant :
«Il fallait vous séparer avant ma naissance,
ou bien attendez que j'aie grandi !»
Et alors pourquoi
parcourir ses sentiers, marche sur le droit chemin.
Ballade
L'ange a visité ma vie désordonnée,
il s'est dressé, pur, devant moi, plus grand que la douleur.
Dans l'escalier hideux nous nous sommes arrêtés en haut.
Il a essuyé la fatigue de son visage et m'a embrassée.
Préserve-moi, mon Dieu, de tes anges !
Je ne veux pas voler, la cendre tombera de moi,
les blessures vont béer, à vif elles vont saigner.
Mais l'ange a frémi de ses ailes
et nous avons volé
dans le vide.
Ensemble nous volions, très longuement,
lui blanc, moi de braise sous son aile.
Longtemps nous avons volé, jusqu'au goudron seulement.
Je l'ai embrassé. C'était l'amour, je n'avais rien d'autre.
Le soir tombe sans bruit sur ses ailes,
et j'ai vu les ténèbres briller.
Mon coeur grandissait comme un enfant, une flamme,
je titubais le matin sous son poids.
«Ne t'appuie jamais sur mon épaule,
tu m'empêcheras de voler, or je dois
rentrer là d'où je viens, où tout
est merveilleux,
là, jamais personne n'est malheureux,
on oublie les péchés, les pleurs sont condamnés.
Ce que tu désires, au paradis, tu l'auras.
Pudeur céleste et sacrée, telles sont nos âmes,
et Dieu entend nos prières, nous sommes rassasiés.
Là, l'amour est un chant lointain,
je n'en connais pas les paroles, mortelles et condamnées.
Je suis cruel parce qu'innocent !»
C'était le plus beau de tous les anges. Il est parti.
Mon coeur s'est arrêté, un silence effrayant s'est fait en moi,
et j'ai entendu crier mon ciel brisé.
Nul souvenir comment je suis morte et allée au ciel,
qui a dispersé et où ma cendre carbonisée.
Sans doute cet ange, plus grand que la douleur,
préserve-le, Seigneur,
je n'ai rien d'autre.
Traduit du bulgare par Marie Vrinat