Métaphysique dans les espaces de l’automne (note)
Un journaliste venu de la capitale pour se renseigner sur un homme politique défunt et un vieux pope, ami du défunt, se retrouvent autour d’une table, d’un poulet rôti et d’une dame-jeanne de vin rouge, par une belle journée d’automne, propice à la métaphysique, dans un cimetière. Le pope raconte… l’histoire de six jeunes gens qui avaient formé une sorte de confrérie et, un corbeau sur l’épaule, avaient juré obédience et fidélité au dieu Tangra[1]. Six jeunes gens qui, ayant vécu à l’époque totalitaire, connurent un sort tragique: tous se suicident, à l’exception du pope.
Tout à coup, les amis défunts, enterrés au pied des deux interlocuteurs, se mêlent à la conversation et expriment leur désaccord avec ce que raconte le vieux pope: Le policier, Le maire, Le maître d’école, Le sauveteur, Le docteur. Un étrange dialogue muet s’engage entre vivants et morts, qui fait renaître l’image et la vie de chacun des «compagnons du corbeau», nés dans le même village, partis faire leurs études supérieures à l’étranger, avant que n’éclate la seconde Guerre Mondiale et que les communistes ne prennent le pouvoir en Bulgarie.
Des vies marquées par le communisme, les camps, les secrets «péchés» interdits et réprimés par le pouvoir (amour incestueux entre un frère et sa sœur, homosexualité, etc.), les amours impossibles, la lâcheté face à la mort, l’alcoolisme, la vieillesse, le suicide.
Philippe Dakhilov, qui a lui-même été victime de la répression totalitaire, est toujours resté dans l’ombre, sans essayer de tirer profit de ce passé, comme beaucoup l’ont fait après 1989. Il nous livre ici une «fresque» concentrée de cette génération perdue, évoquée avec pudeur, finesse, mais efficacité, avec une langue souvent poétique, où se mêlent avec magie athéisme, christianisme rituels païens, nous rappelant que la Bulgarie est en effet terre de syncrétisme.
Marie Vrinat-Nikolov