A cause de Jiménez (extraits)
A cause de Jiménez
une triste journée de soleil
dans le jardin
sur le squelette noir du pommier
deux feuilles jaune vif
ont été oubliées par le vent
jour après jour depuis le café d’en face j’observe
comment au coucher du soleil
les feuilles sont toujours plus jaunes
et le squelette toujours plus noir.
Je n’ai pas attendu qu’elles se détachent
et qu'elles tombent
je n’ai pas attendu non plus que les abeilles reviennent
les abeilles ivres de l’automne
“mélancolie sur le visage du temps
quand tu les oublies”
* * *
Je vais à travers l’automne à peine éclos quel enchantement
je vogue vers moi-même tel un soleil ayant inversé
tous les chemins la destination devant moi est tout
ce que je désire
la ville que je quitte ne remarque pas mon absence
impitoyablement charmante elle est en fête je pars
je vais vers l’horizon et pour la première fois
après tant d’années d’absurdité
j'éprouve la joie de ressentir que là devant moi
il n’y a rien d’autre
qu’un impétueux nuage de lune
dans lequel le soleil éteint ses feux.
* * *
j’ai chassé ce chagrin, j’ai vendu l’une des deux bagues en or, l’autre
n’est plus là,
celle à la pierre blanche, j’ai terriblement mal aux yeux, j'ai trouvé plein de mouchoirs, le vieux verre fêlé s'est brisé.
Une plage déserte n'est-elle pas un peu trop propice à l'amour ? L'eau est verte. A Sozopol, ce sentiment indéfini de ne pas savoir où je suis m'a envahie à nouveau. La plus part du temps je pensais à Antibes, à cause de la courbe que dessine le rivage.
La plage déserte est bien trop propice à l'amour ou bien est-ce à cause de ce couple que j'ai aperçu quelque part au bout de la plage, l'homme ressemble terriblement à l'homme dont je voudrais qu'il me fasse l'amour. Voilà la première chose qui m'est venue à l'esprit. Le ciel est légèrement effiloché, derrière l'horizon, l'obscurité monte lentement, seule l'eau verte brille encore.
Le lendemain, l'homme dont je voudrais qu'il me fasse l'amour, est accroupi au bord de l'eau et je l'entends parler de colombes, le regard rivé sur une tache jaune, je l'entends dire de temps en temps "tourne-toi vers moi". Peur après, il se redresse, retourne sous le parasol, s'habille, dans cette chaleur!, et s'accroupit à nouveau.
Il reste accroupi longtemps, puis il jette sa serviette de plage sur sa tête et s'en va à travers le soleil, l'eau et l'écume, portant ses sandales de la main gauche et je ne le vois pas disparaître, simplement je remarque subitement qu'il n'est plus là… l'homme dont je voudrais qu'il me fasse l'amour, l'homme à la tête plus jaune encore que le soleil.
Quelques instants je suis sous le charme, quelle ressemblance!
Son comportement insensé m'attirait encore plus. Comment n'avait-il pas mal aux jambes de rester ainsi accroupi et de plus habillé par cette chaleur ? Les météorologues annonçaient l'été le plus chaud, le monde alentour se précipitait dans l'eau, alors que lui, il restait accroupi sous le parasol et fixait des yeux ses mains qu'il bougeait comme s'il jouait avec une toile d'araignée. Jusqu'à ce qu'elle apparaisse. Jusqu'à ce qu'elle revienne de la mer avec ses cheveux couleur rubis.
Ils ne se parlaient pas, mais ils se comprenaient. Ils ne restaient presque jamais ensemble. Ou bien c'était elle qui se baignait ou bien c'était lui qui jetait sa serviette sur sa tête et s'en allait à travers la plage. Il s'attardait longtemps. Quand il revenait, c'était elle qui entrait dans l'eau et ainsi de suite jusqu'à ce qu'ils quittent la plage. Pendant les quelques instants qu'ils passaient ensemble, elle a remarqué que je le regardais et que cela lui plaisait. Tout cela à cause de cette ressemblance.
Un soir, n'y tenant plus, j'ai décidé de leur adresser la parole le lendemain. J'ai imaginé toutes les variantes possibles pour leur expliquer que je l'avais pris pour quelqu'un d'autre et qu'en fait…
Le lendemain, ils ne sont pas venus, ni le jour d'après, ni plus tard, ils ont trouvé leur salut, alors que moi, je demeure là, le regard rivé sur une tache jaune... .
Traduit du bulgare par Ralitsa Mihailova Frison-Roche