L'enfant des sourds-muets

page 31

Lecture

Les pages sont accueillantes
doucement, imperceptiblement, j’oublie
les doigts nerveux
les lèvres saignantes
le haut-le-cœur

Je lis toujours le même livre
mes yeux se sont effacés
les lettres se sont éparpillées
Des années ont passé pendant que je lisais
le visage s’est lissé
le soupir est apaisé
les pas sont assurés
je n’entends plus de voix
Qui me reconnaîtra?



Page 20

* * *

C'est la chambre.
Le lit est au centre.
Le poète, au milieu des draps.
Les rideaux sont tirés.
L'esprit du voyageur a imprégné tout autour
les ombres sur le piano
les roses fanées
et le blouson étreignant la chaise.
Loin, là-haut, inaccessible, une lampe brille.
Derrière moi, la chambre est suspendue -
triste, jaune, légère, au-dessus de la terre -
il s'élève dans les nuées, le sommeil allège le corps -
mais au-dessus du poète - rien que souffle et vent.


page 22

Conception

Je sens ta main admirer
l’ovale parfait de mon crâne.
L’extase vibre dans l’air-
au-dessus du lit clair, un papillon passe
Je fonds et disparais de tendresse.

"Attentivement"

page 80

En arrière

Parle-moi de la vieille gare
La salle d’attente les bancs en bois le sol
souillé de graines de tournesol moi l’enfant
les valises en carton Kazanlik
les passoires le panier de cerises
ton train à la fumée noire
est toujours en retard tu regardes
ta montre tu cherches la direction
de Bourgas et de Varna
puis de Sofia où aller
l’espoir que le souvenir
existe vraiment que
le mensonge peut rétablir
la ligne interrompue de l’enfance
papa la ligne interrompue
de la vie sur ma main
La vie qui se répète toujours

Sur une très vieille carte géographique

jaune comme le sable mouillé sous les pieds
quelqu'un a dessiné des poissons
là où est l’eau
et des montagnes
là où est la terre
je traîne le doigt en direction des points cardinaux
pour voir combien la terre est petite
et combien plus étendue est l'eau j’hésite
je ne sais laquelle des deux j’aime le mieux
ni laquelle je crains le plus

Traces fugitives

Il y a des gens qui errent
dans les rues d’une cité Moyenâgeuse
parmi les touristes absorbés par eux-mêmes
Je les vois sans trop de peine
Les robes longues traînent
Les fourreaux des épées tintent contre la pierre
Il y a des enfants qui courent et qui crient
Nul n’entend
Il y des bruits de sabots
Nul ne cherche les ombres du passé
Sourds au passé
Aveugles sur l’avenir
Ils se fondent dans la pluie
qui tantôt commence, tantôt s’arrête soudain
Je ne suis pas sûre qu’ils disent quelque chose
sur la guerre qui commence soudain
et n’en finit pas.

Page 89

Aujourd'hui entre deux vieux immeubles

le soleil se faufile dans le quartier
comme pour me rappeler
un peu Prague en automne
et plus encore Stockholm
avec le calme d'une après-midi, loin du centre-ville
tout a l'aire figé
quelques femmes à la pâtisserie
des chiens en laisse
des rangées d'immeubles momentanément délaissés
le bâillement d'un bébé illumine un landau
et nulle mais nulle trace d'habitants
à part le bruissement de quelques feuilles emportées
par le vent qui se lève subitement
son arrêt soudain
l'assoupissement de la vie
mais rien ne suggère
sa nécessité essentielle

page 67

La distance est trop grande entre

les deux tasses de café le bruit, gênant
les chaises trop dures
Si tu as très mal
promets-moi de trouver à qui le dire.

poèmes traduits du bulgare
par Ralitsa Mihailova Frison-Roche

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