Mission Londres, roman (résumé)
Mission Londres, roman,
Sofia, Zvezdan, 2001, 277 pages
de 1500 signes environ.
Fiche de lecture
«Quelques jours de la vie d’une ambassade bulgare », tel pourrait être le sous-titre de ce premier roman du jeune écrivain bulgare Alexandre Popov, qui évoque avec un humour grinçant et un esprit d’observation étonnant le quotidien et le destin des diplomates, fonctionnaires et autre personnel, évoluant dans un microcosme fictif très particulier: l’ambassade d’un petit pays est-européen dans la capitale du royaume britannique.
Tout va très bien dans le meilleur des mondes diplomatiques en l’absence du chef de mission dont l’arrivée est prévue pour les jours à venir. Profitant de ces derniers instants de liberté, le cuisinier et sa famille prennent leurs aises dans la résidence… lorsque tout à coup la sonnette retentit et le nouvel ambassadeur apparaît inopinément. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, avec des effets de surprise à rebondissements, provoquant la panique à l’Ambassade.
Varadin Dimitrov est bien décidé à remettre de l’ordre dans sa grande maison et à mettre au pas tous ses subordonnés dont il soupçonne la propension à profiter de leur statut en travaillant sans conviction. Tous, lui le premier, ont compris qu’il ne fallait surtout pas faire de vagues si l’on veut garder son poste, et la terreur qui les réunit est celle de l’interruption prématurée du contrat et d’un retour peu glorieux à Sofia. Lorsqu’il rassemble pour la première fois ses collaborateurs, l’une de ses premières phrases, qui retentit comme une menace, est: «Je vous préviens dès à présent: je ne supporterai aucune gaffe ! » Or il semble bien que ses collaborateurs soient justement enclins aux gaffes: ainsi, le cuisinier accepte d’abriter provisoirement dans le grand congélateur de l’Ambassade un nombre impressionnant de canards tout juste plumés que viennent de lui apporter un acteur bulgare et son acolyte, un petit maffieu ex-soviétique. Ce qu’il découvrira trop tard, et une fois le maffieu liquidé, c’est que les canards proviennent de la réserve de Richmond Park et qu’ils sont équipés d’une puce implantée sous leur peau, ce qui devrait permettre de les suivre à la trace… Heureusement, Ratcho le chiffreur est là et parviendra à temps (ou presque !) à se débarrasser des «puces » pirates, évitant un scandale insoupçonné à Monsieur l’Ambassadeur.
Autres gaffes qui risquent de mal tourner: le jour de la Conférence européenne de 1997, dans un timing très serré, le discours du Premier ministre bulgare a bel et bien été rédigé durant la nuit mais l’on attend encore la traduction en anglais qui doit être distribuée aux nombreux auditeurs et participants. L’ambassadeur attend nerveusement… le temps passe et bientôt ce sera le tour du Premier ministre de prendre la parole. Si l’on ne dispose pas de sa traduction, le renvoi de Dimitrov est assuré ! Coup de théâtre: le jeune stagiaire de l’ambassade a cru bien faire en confiant le précieux dossier photocopié à un illustre inconnu de la délégation roumaine. Pas trace de ce dernier ! Pris de vertiges, Monsieur l’Ambassadeur court dans les toilettes (pour dames de surcroît !) et en sortant… y découvre le discours du Premier ministre ! Tout est bien qui finit bien, le scandale a été évité de justesse…
Décidément, ce jeune stagiaire lui donne bien des soucis: le British Museum a accepté d’abriter une exposition qui met en cause toutes nos idées reçues concernant l’invention des premières toilettes à eau (water-closets). Contrairement à ce que l’on croit, elles n’ont pas été inventées au XVIe siècle par le britannique Sir John Harington mais aux alentours de 680 sur le territoire bulgare ! Nouvelle sensationnelle - à laquelle d’ailleurs Monsieur l’Ambassadeur n’accorde pas l’attention méritée, préoccupé par d’autres soucis plus importants -, qui suscite les hypothèses les plus variées…
Notre ambassadeur ne sait pas que la jeune et jolie étudiante chargée de faire le ménage dans son bureau, Katia, fruit de ses fantasmes à peine dissimulés, qui vit surtout de strip-tease, a été embauchée par une agence du fait de sa ressemblance flagrante avec la princesse Diana: c’est, sinon la gloire, du moins une relative fortune, car plusieurs spectacles lui sont assurés avec les scénarios les plus divers (nue, couverte de bijoux, parée de manteaux de fourrure, etc.) et scabreux. Lorsqu’il le saura, il sera trop tard mais il saura se consoler et assouvir ses appétits virils avec sa remplaçante, la laide Doti.
Le premier souci de Son Excellence est de nouer des contacts aussi efficaces que réguliers avec l’aristocratie britannique et surtout Sa Majesté Elizabeth II qui décline toujours fort poliment les invitations adressées par l’Ambassade bulgare. Lors d’un dîner officiel où il est placé près d’un homme d’affaires anglais bulgarophile, une chance lui est enfin donnée: l’homme d’affaires lui suggère d’avoir recours à une agence de Public relations qu’il connaît et il lui confie la carte de visites de «Famous connections, PR agency »… Il s’avérera très vite que c’est la même agence qui emploie Katia et que sa spécialité est… de louer des doubles de personnes célèbres, vivantes ou mortes, dont Sa Majesté Elizabeth II en personne ! Le malentendu ne se dissipera que vers la fin, provoquant un quiproquo hilarant: harcelé par l’épouse d’un homme politique très haut placé, Dévorina Sélianova, Varadin Dimitrov accepte le spectacle de bienfaisance en faveur des orphelins bulgares qu’elle lui impose à la condition expresse qu’il obtienne la présence d’aristocrates connus et surtout celle d’Elizabeth II ! Grâce à l’assurance de «Famous connections », l’ambassadeur n’a aucun doute. Et de fait, c’est une soirée mémorable pour Mme Sélianova qui a le privilège, durant toute la soirée, de bavarder presque intimement et familièrement avec Sa Majesté la reine d’Angleterre, sans soupçonner un seul instant qu’il ne s’agit que d’un double ! Comme dans «Cendrillon », le conte de fée s’achève plus vite que prévu: le clou du spectacle, le danseur avec le feu, manque de provoquer un incendie à l’Ambassade. L’installation de sécurité marchant sans défaillance, une trombe d’eau se déverse sur les «aristocratiques » spectateurs, et «Sa Majesté » est évacuée à la hâte .
Tels sont les épisodes les plus marquants de ce roman truculent, savoureux, qui confronte bien deux mondes aux habitudes et réflexes différents, met en scène des «tranches de vie » selon plusieurs lignes narratives, dénonce la roublardise générale, suggère le drame de l’émigration et la nouvelle exploitation de jolies filles de l’Est décidées à tout pour rester à l’Ouest, joue avec le grotesque, le suspens (à tout moment, on flaire la catastrophe en général évitée de justesse) pour nous donner une vision nouvelle où se mêlent intimement tragique et comique, absurde et réel. On pense en le lisant aux propos du romancier russe, Andreï Karkov, à propos de son dernier roman, Le Caméléon: «Comme dans la vraie vie (…) ces éléments que vous, Occidentaux, trouvez surréalistes dans mes romans, ne sont, en réalité, que des faits parfaitement normaux dans la société post-soviétique d’aujourd’hui. »
Marie Vrinat-Nikolov