L'apocalypse survient à 6 heures du soir - extrait

Guéorgui Gospodinov


L'apocalypse survient à 6 heures du soir

pièce de théâtre (2009)

 

Nos apocalypses

L'apocalypse, ce n'est pas forcément un cataclysme global, des cavaliers au galop, des anges claironnants, tonnerre et tremblement. Elle est plutôt minimaliste et muette. Parfois, la fin du monde est quelque chose de très personnel et de très quotidien. Elle se produit à l'heure où le soleil d'automne décline, à la minute où la lumière vient de se retirer, mais sans avoir encore cédé la place à l'obscurité. C'est dans l'espace de cette longue minute que se passent les histoires dont il est ici question. La minute avant.
En cette fin d'octobre, une ville est paralysée sous la menace d'un tueur invisible. La ville se terre derrière les rideaux des fenêtres, collée au poste de télévision, à l'écoute du flash infos de 6 heures.  C'est aussi le moment privilégié des assassinats, l'heure à laquelle se réveillent en chacun les démons de la peur et de la solitude, où se révèlent au grand jour des secrets longtemps gardés ;  l'heure de confessions et de vengeances inattendues.  Chacun pourrait être un assassin. Et une victime.
Des histoires sur la manière dont se sont passées les années 1990 et dont nous sommes entrés dans le nouveau millénaire avec chacun une micro-apocalypse d'avance.
Des histoires, des ombres et des voix qui se nouent, qui se frôlent, parfois à travers une phrase isolée, pour donner sa silhouette à un corps, vulnérable, non raconté, fait de solitude et de non réalisation.
Les héros, des migrants et des sédentaires, se heurtent aux portes de leur propre obscurité. Il suffit d'un assassinat ou même de sa rumeur pour que deviennent béantes les failles du contrat social. Après toute l'expérience que nous avons acquise en matière de théâtre et de terreur, il suffit d'évoquer le fusil (le tueur) pour qu'il fasse partie de l'action : il « éclate » déjà dans nos têtes.
C'est précisément ce point de fracture dans notre existence commune au-delà duquel les fragiles réconciliations avec les autres se brisent que suit la pièce. La ville ne se sert-elle pas du tueur comme d'un alibi ? Ne l'invente-t-elle pas pour commettre chaque soir ses meurtres, petits et grands, longtemps réprimés ?... Ou pour les raconter.
C'est une pièce sur ce qui ne s'est pas produit et qui fait la matière de nos apocalypses. Une pièce sur les accordéons de notre infamie.
Et, pour finir, une supposition blasphématoire (pour le Dieu du théâtre) : le dramaturgique n'est pas une part essentielle de ce qui nous arrive. Plus radicalement, je dirai que le manque de dramaturgie est l'horreur essentielle de la vie, l'essence du drame. Nous n'avons rien d'autre contre l'Apocalypse que notre histoire personnelle. Sans être sûrs de l'œil et de l'oreille prêts à nous écouter, nous parlons à tâtons, comme des enfants dans le noir. La seule chose que nous sachions est que, tant que nous racontons, nous sommes en vie. Même si nous racontons la fin.
Car l'apocalypse est vraiment une histoire très personnelle.

    P.S. :
    J'aimerais que la pièce soit portée par le tango de la tristesse, la traction de la tristesse, et non la mélancolie.

 

L'apocalypse survient à 6 heures du soir

Sept acteurs, quatre homme, deux femmes et un garçon qui, dans les différentes scènes, jouent le rôle de : l'Accordéoniste conteur ; un couple à la quarantaine ; une vieille dame et la femme engagée pour s'occuper d'elle ; le Surveillé ; l'Invisible ; l'Homme de sable ; l'enfant disparu ; le Vieillard qui attend un signe ; le Collectionneur d'histoires, son agresseur et d'autres. Certains acteurs interprètent plus d'un rôle.

Le soir tombe, reflets tardifs du couchant, plutôt une zébrure orange-mauve qui traverse l'horizon (le fond de la scène). Comme si le temps s'était arrêté à la minute où la lumière s'est retirée sans avoir encore cédé la place à l'obscurité. C'est dans l'espace de cette longue minute que se passent les histoires dont il est ici question. Les années peuvent peuvent passer plus vite, changer, mais cette minute demeure.


Ombres de voix

L'obscurité. Des voix de divers points de la scène.
… Plusieurs vies me sont arrivées... Je n'en ai mené aucune jusqu'au bout...

… Nous, on ne nous percevra que si on nous tire dessus... Ou si nous, nous tirons... Nos histoires ne seront entendues que sous la menace...

… Mon premier meurtre, je l'ai commis à neuf ans... seulement xxxxx … xxxxxx...

… Le problème, c'est que nous comptons en années. 70-80... dans le meilleur des cas... Mais c'est injurieusement court... injurieusement peu. Il faudrait compter en heures et en minutes...

… Solitude et indécision : voilà de quoi nous sommes faits. (Silence). Dieu m'a donné de ses propres dépression et agression...

… Je suis si fatiguée. J'espère qu'il n'y a pas d'autre vie après...

… Vous avez déjà vu du théâtre sans spectateurs. (Silence).  Et moi, je dois la vivre, cette vie, sans public...

… Allez, bouge-toi un peu les méninges... Il faut qu'il y ait une histoire, on tue un homme tout de même...

… Cela fait des années que je n'ai étreint personne... et qu'on ne m'a pas... je vais me faire masser...

… À une époque, les programmes télévisés s'arrêtaient. Comment ai-je pu l'oublier. Et c'était aussi naturel que l'inverse maintenant... Ce bruit triste et les flocons de neige après l'hymne national... sssssssssssssssssssssssssssss...

… C'est déjà la nuit. Je dois avouer que les nuits sont objectivement terrifiantes. J'aime le mot « objectivement »...

… Je ne laisse pas de souvenirs. Je ne laisse pas de traces...

… Et tout ce qui me regardera plus de trois secondes, homme, fauve où salière... plus de trois secondes... pourra dire adieu à tous ses yeux...

… Xxxxxxxx... xxxxxxxx...


Meurtre d'un accordéon
L'Accordéoniste, homme d'environ quarante ans, musicien. Il entre en scène avec un accordéon, un petit Weltmeister usé qui semble ne faire qu'un avec son corps. Il tient à la main la housse noire de l'accordéon, dont le contenu demeure mystérieux jusqu'à la fin. On entend un Piazzola très doux.

Mon premier meurtre, je l'ai commis... à neuf ans... J'ai tué un accordéon. C'était un meurtre prémédité, de sang froid. J'avais une complice. Tihomira, la petite-fille des voisins. Une sourde-muette de dix ans qui vivait chez sa grand-mère. Elle était née sourde et ensuite, personne ne lui avait appris à parler et... C'était le complice idéal, elle ne me balancerait jamais.
On a commis le meurtre un mardi après-midi, vers trois heures. L'heure la plus morte. Les parents sont au travail et les vieux dorment comme des égorgés. C'est comme ça qu'on dit chez nous, dormir comme un égorgé, ça n'a rien à avoir avec le crime que je décris. Quoi que, qui sait, tout  a à voir avec tout, n'est-ce pas ?
J'ai pris l'accordéon, l'ai recouvert d'une vieille parka pour qu'on ne le voie pas et je l'ai emporté au fond du jardin, de l'autre côté des baraques, près d'un figuier. Ensuite, je suis revenu prendre le grand couteau de cuisine, l'arme duc rime. Tihomira m'attendait près du figuier. Nous avions d'abord creusé un trou pour y enfouir le cadavre.
Pourquoi je le haïssais tant, cet accordéon ?
Parce que j'en avais honte. Parce que je voulais jouer du piano, je rêvais du piano, parce que la fille dont j'étais amoureux avait un piano, le seul de notre ville, je crois. Nous n'avions pas autant d'argent et pour mon anniversaire mon père m'a offert un accordéon. Un Weltmeister.
Le meilleur. Sauf que moi, je ne voulais pas d'accordéon... C'est après que j'ai appris qu'il avait dû économiser toute une année pour l'acheter.
J'avais honte, c'étaient les Tsiganes qui jouaient de l'accordéon pour les mariages, tandis que le piano...
À l'accordéon, on jouait « Ah le petit vin blanc », et au piano, « La Sonate à Élise », « La Sonate au clair de lune »...
Mais c'est comme le piano,  voyons, disait mon père, regarde, tu as les touches, là, sauf qu'il est plus petit et qu'on peut le transporter.
Je savais bien que ce n'était pas la même chose.
L'accordéon est le piano du pauvre. Quand on ne peut pas avoir ce qu'on désire, on trouve toujours quelque chose de presque pareil. Je m'imaginais, marchant dans les rues, l'accordéon sur le dos, tandis que les filles rigolaient : c'est pour un mariage ou pour un baptême ?
J'ai sorti le couteau de sous mon pull, j'ai enlevé la parka qui recouvrait l'accordéon et c'est alors que j'ai compris ce que j'étais en train de faire, mais il était trop tard, sans compter que Tihomira me regardait. En fait, les accordéons sont beaux : avec du rouge, du mica, des écailles, comme un dragon, ensuite le blanc et la noir des touches, on aurait dit un étrange animal, en tout cas quelque chose de vivant qui respirait. Je l'ai déployé jusqu'au bout, j'ai pris mon inspiration en même temps que lui, et j'ai planté le couteau dans sa poitrine. Je me souviens avoir tout de suite fait un bond en arrière, comme si je m'attendais à ce qu'il sursaute, m'éclabousses de son sang, comme les poules quand grand-mère leur coupait la tête. Il n'y a pas eu de sang, pas de musique, seulement un xxxxxxxx... xxxxxxx...
(Il déploie l'accordéon et le laisse ouvert). Je n'oublierai jamais.
On l'a enterré à la va-vite, on a recouvert d'un peu de feuilles sèches pour qu'on ne voie pas la terre humide. Je tremblais de tout mon corps, le soir je suis tombé malade, j'ai tout avoué, mon père ne m'a pas frappé, il ne m'a pas grondé, il se taisait et fumait près de la fenêtre. Complètement désorienté et, il m'a semblé, tout à coup vieilli.
Je me sentais horriblement coupable. Pour lui, j'ai finalement décidé quand même d'apprendre l'accordéon. On l'a apporté à un artisan qui l'a recollé, recousu. Il revient de l'autre monde, a-t-il dit.
Le voici (Il le montre), c'est là où il était déchiré qu'il est le plus solide.

Flash infos de 6 heures
(La télé du premier étage derrière l'accordéoniste. Il s'approche de la fenêtre, écoute avec un voyeurisme particulier de l'oreille. La voix de la présentatrice.)

Bonsoir et bienvenue au flash infos de 6 heures. La nouvelle et septième victime du tueur en série est un homme de cinquante-sept ans, blanc, un instituteur mis à la retraite pour maladie. Le meurtre a eu lieu il y a tout juste quelques minutes (on entend dans le reportage le hurlement des ambulances et des voitures de police). Il a été abattu par sa fenêtre alors qu'il était chez lui, devant son poste de télévision. Des témoins affirment avoir vu aujourd'hui, un peu plus tôt, un microbus blanc dans l'une des bifurcations à huit kilomètres du centre-ville. Pour plus de détails, venez nous rejoindre aux dernières infos de la soirée.


L'accordéoniste
J'avais des amis dans les années 1980. Par la suite, ils se sont acheté un magnétoscope... (La lumière s'éteint, on entend une mélodie qui se brise, cela peut se répéter après chaque histoire).

J'avais un ami à l'université qui est sorti avec une fille, cela faisait à peine une semaine qu'ils étaient ensemble et ils ont dû se marier. Parce qu'on était en 1991, ils n'avaient pas d'argent pour payer un loyer et on ne donnait que des chambres pour couples mariés à la cité U. Ils se sont dit que si ça ne marchait pas, ils se séparaient tout simplement. Ça n'a pas marché. Ils ne se sont pas séparés. Ils ont eu un fils. Ils sont partis en Allemagne.

J'avais un ami. On l'appelait Toronto. Il a émigré à Toronto.  Là-bas, on l'appelait le Sofiote.

J'avais un ami, Jagger. C'était son boulot : Mick Jagger. Il connaissait tous les morceaux des Stones, il avait toutes leurs galettes (ce qui, à cette époque, dans les années 70 et 80), n'était pas facile), ça lui avait valu plusieurs arrestations. Il ressemblait incroyablement à Jagger. Il avait même réussi à naître à la même date, le 26 juillet. Pendant les années 90, quand on pouvait déjà voyager, il a mis en gage la maison de sa mère et est parti rejoindre Jagger en tournée au Canada. Il est rentré six mois plus tard en disant :
« Celui-là, il fait que m'imiter. Ce bâtard, il m'a volé ma vie, je lui souhaite bonne chance... Faut dire  qu'il sait la gérer... »

Il n'a pas pu rendre l'argent, on lui a pris la maison, sa mère a réussi à se trouver un toit, puis elle est morte. Il est resté à la rue, Jagger, et c'était encore le plus cool des clochards, Beggar's Banket.
(Musique, thème de l'album des Stones, tout à l'accordéon.)

J'avais des amis. Ensuite, il est apparu que, durant les années 80, comme elle était la fille de parents politiquement incorrects, on l'avait contrainte à écrire des lettres de délation contre les parents du garçon (eux aussi politiquement incorrects). Dans le même temps, on avait enrôlé le garçon, mon mai, pour qu'il fasse des rapports sur ses beaux-parents, les parents de la fille. Ça, c'est du théâtre politique, ça c'est du théâtre de l'aliénation, ça c'est le flic en metteur en scène.  Ça, c'est le théâtre schizophrène. Chacun d'eux devait jouer en même deux pièces pour deux publics différents.

C'est ainsi que nous sommes entrés dans le merveilleux nouveau millénaire, avec chacun une micro-apocalypse d'avance.


Le Surveillé (le Tueur en série de téléviseurs)

Moi, tout me surveille. Je m'assieds à table et je sais que la salière est un œil. L'œil d'un insecte, il me regarde par tous ses trous. Le vinaigrier aussi me regarde avec l'un de ses yeux, comme un cyclope. Tiens, et les feuilles des arbres. À quoi ressemblent les feuilles des arbres, hein ? (Il attend). Leur forme, elle est pas due au hasard du tout. Dieu, il joue pas au hasard, il envoie des signes. (Il dessine avec le doigt). Un œil. La feuille, elle a la forme d'un œil.
Je m'enferme dans ma chambre, je tire les persiennes. La chambre est complètement vide, quatre murs blancs, un plafond et un plancher. La fenêtre, comme je l'ai dit, obstruée par les persiennes. Eh bien merde, je sens ses petits yeux. Par les trous des prises murales. C'est par là qu'il regarde. Si je me retourne très vite, je peux voir son ombre pendant qu'il se glisse dan les prises.
Et une lampe suspendus au plafond, qu'est-ce que c'est sinon un œil transformé en lampe ? Il fait semblant d'être une lampe, ça saute tellement aux yeux, il ne cherche même pas à se cacher, il est vitreux, il pend à son nerf optique déguisé en câble électrique.
Sans parler des gens, je m'assieds toujours dos au mur. Un jour, je partirai et tout ce qui me regardera plus de trois secondes, homme, fauve où salière... plus de trois secondes... pourra dire adieu à tous ses yeux...
(Silence. Tandis qu'il parle, il agite une lampe de poche à laser avec un faisceau rouge).
Comme on dit, le fait que je sois paranoïaque ne veut pas dire qu'on ne me surveille pas. J'ai des preuves. J'ai lu son dossier, elle a écrit des rapports sur moi déjà quand c'était ma petite amie, elle a même écrit sur mes vieux. Notre histoire, ce n'était pas un mariage, c'était une mission.
(Silence).
Ensuite, j'ai découvert la plus grande conspiration. La télévision. C'est le véritable espion. On s'imagine qu'on le regarde, alors qu'en réalité, c'est lui qui nous regarde. Invention géniale. J'ai tiré sur neuf téléviseurs... Celui-ci sera mon dixième.
Je n'en suis pas encore passé aux infos.
En fait, je n'en sais rien parce que j'aime leur tirer dessus justement au moment des infos, le flash spécial infos. Ceux du premier étage sont les plus faciles, j'ai un angle de tir droit. (Il oriente le point rouge sur l'un des téléviseurs). Il reste douze secondes jusqu'à 6 heures, voilà l'horloge, le signal. J'attends le gros plan sur la présentatrice. Tiens, nouvelle coiffure. Voilààà. Et au moment où elle va me dire (La voix du téléviseur et la sienne en synchrone).
« Bonsoir et bienvenue au flash spécial infos de 6 heures. »...
(On entend une détonation, le bruit de verre brisé et le téléviseur s'éteint. La scène est plongée dans l'obscurité, bruit des pas du tireur qui s'éloigne).  
Je lui avais bien dit de ne pas commencer aux infos.


L'enlèvement 1

Un jeune couple, la femme est enceinte devant l'écran en 3 D d'un échographe, ils regardent le bébé. On entend leurs monologues qui peuvent se chevaucher ou s'égrener parallèlement, et dans les pauses de l'un s'insèrent les répliques de l'autre. Tout en parlant, ils regardent l'écran chacun pour soi.

Le père : On dirait un amphibie, un terrestre-aquatique... c'est un vrai amphibie... comme au cours de biologie... les bocaux de formol... des reptiles... des grenouilles... oui, c'est à une grenouille qu'il ressemble le plus... ou à une salamandre... la grenouille est un amphibie... si ce n'est ps prodigieux... amphibie, terrestre-aquatique... le ventre est une cornue... son ventre est une cornue, une cornue, une cornue... ce n'est pas du formol... il nage... bouge... respire, il est transparent... sa colonne vertébrale est comme une ficelle...famille des chordés... ce n'est pas encore un être humain... c'est encore un amphibie... ls se reproduisent uniquement dans l'eau... ça, dans le ventre, c'est un océan. Chaque jour, il franchit des millions d'années d'évolution... d'abord c'était... quels sont les premiers êtres vivants... la vie est née dans l'eau... ensuite les dipnoi avec des branchies et des poumons, amphibie... ensuite ça va être un mammifère... on voit qu'il n'est qu'à quelques centimètres de nous, sous la peau de ce ventre, et pourtant il est à millions d'années, il voyage vite, il arrivera au bout de cinq ou six mois...

La mère : On dirait un extra-terrestre... il ressemble horriblement à un extra-terrestre... exactement ça... comment ça se fait que personne n'y ait songé... les bébés sont des extra-terrestres... avec cette grosse tête... une énorme tête disproportionnée par rapport au corps... des yeux ronds ouverts, une peau un peu ridée... comme un vieillard antique... comme s'il avait mille ans... Yoda, il ressemble au Yoda de La Guerre des étoiles... Je l'ai vu dix-sept fois, ce film, à la fin on me laissait entrer gratuitement dans la salle de cinéma... donc, l'homme serait en fait un extra-terrestre... j'ai toujours eu un petit doute... la voilà, la preuve... l'évolution, Darwin, ça n'existe pas... nous ne sommes pas des singes, Dieu merci... il se meut comme dans le cosmos, nage comme dans le Cosmos... pas de gravitation... sous ce nombril... à l'intérieur, dans mon ventre, c'est le cosmos... le cosmos et le ventre sont des sphère...

(Pour finir, ils se tournent l'un vers l'autre)
Elle : C'est un extra-terrestre...
Lui : Un terrestre-aquatique...
Elle : C'est toi le terrestre-aquatique... c'est un extra-terrestre...
Lui :  C'est un terrestre-aquatique. Tu regardes trop de science-fiction.
Elle : Darwiniste.
Lui : Bon, d'accord, c'est un extra-terrestre-aquatique.

(La lumière s'éteint)
Les deux mêmes, des années plus tard, chacun avec des écouteurs devant son propre portable, ils se parlent par Skype, dos à dos.

Elle (clairement et froidement) : Tu saisis ce que tu as fait ? Tu – as enlevé – nos enfants. Il n'y a pas d'autres mots.  Dans toutes les langues, ça s'appelle un enlèvement.
Lui : Personne ne te croira.
Elle : Tu as enlevé nos enfants.
Lui : Attends, dire «  Tu as enlevé nos enfants », c'est pas possible, c'est pas logique. Ce sont nos enfants – évidemment, tu es la seule à savoir si c'est vrai à cent pour cent, mais admettons.
Elle : Psychopathe.
Lui : Encore un mot de ce genre et j'arrête la conversation, maintenant, c'est moi qui dicte.
Elle : Seigneur, est-ce que tu t'entends ? On dirait le parfait ravisseur. Je me demande si c'est la première fois que tu le fais ou...
(La ligne est interrompue. Elle rappelle.)

Elle : Ce n'est pas un jeu !
Lui : On en était où. À l'enlèvement. Si on admet qu'un enlèvement est toujours le rapt par la violence d'une personne emmenée dans une direction inconnue par des personnes inconnues dans le but d'en tirer un avantage matériel,  avec menace de mort, etc., tu peux me dire, dans le cas présent, ce qui te fait penser ne serait-ce qu'un tout petit peu à un enlèvement, hein ? Les enfants sont avec leur père chez leur grand-mère.
Elle : Écoute...
Lui : Ne m'interromps pas. Depuis toutes années, tu essaies de nous manipuler tous autant que nous sommes. Et en plus, tu sais quoi ? Tu as l'habitude horripilante de ne pas écouter l'autre. Bon, maintenant, on a enfin l'occasion de se parler normalement. Il fallait qu'il se passe ce genre de chose pour qu'on se parle. Hier soir, je me suis dit que, si je compte toutes les minutes durant lesquelles nous nous sommes vraiment parlé durant les dix dernières années, on n'aboutira même pas à une nuit.
Elle : Pour se parler, il faut être deux, non ?
Lui : C'est toi la spécialiste des dialogues de Platon, c'est toi qui sais. Moi, je ne suis qu'un crétin de physicien.
Elle : Moi, j'ai dit ça ?
Lui : Le crétin de physicien ? Pas directement, mais dans le ton que tu...
Elle : Tu sais ce que c'est ton problème... ça n'a pas d'importance...
Lui : D'où vient cette suffisance chez les Platoniciens...


Traduit du bulgare par Marie Vrinat

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