Carillon
Lorsque la mer a chanté dans ma poitrine empoussiérée,
lorsque le grand vent a enflammé mon cœur sombre
lorsque la vague aux mille voix a envahi ma bouche vide,
j’ai cessé de pétrir la boue et me suis jeté dans le grondement salé.
Je me suis élancé dans la brume les genoux pétrifiés par l’effort,
Ecrasé par les brise-lames, accroché à une ancre à trois dents.
Je n’ai pris que de la cire, pour ne pas entendre derrière moi
hurler la sirène du bateau comme un troupeau de bêtes aveugles.
Sept jours durant les flots m’ont brisé et tiré en arrière,
Sept nuits durant la mer m’a charrié et moulu comme un buffle.
Et alors j’ai compris : éphémère est la faim de l’homme,
et la liberté, amère, sent la poisson et la mort.
Et j'ai vu des rivages, des terres couvertes de cendre,
j’ai vu un serpent siffler sur des tombes encore tièdes,
et des femmes émerger en secret de l’écume blanche
comme des coquillages, ouvertes, séchant sur les rochers.
Et les hommes volaient, gorges muettes tendues,
vers les flots bleus, traversant des barbelés,
les dauphins pleuraient dans les ténèbres, le front brisé,
et des mouettes hérissées picoraient l’abîme aveugle.
Comme un lent carillon l'abîme oscillait sous mes pieds…
Et j'ai voulu alors me jeter de ce carillon
sonnant au-dessus de tant de bouches chères et mortes.
Et à jamais demeurer dans sa voix funeste.
Traduit du bulgare par Marie Vrinat