Clocher

J'ai mouillé seul ma barque à la tombée de la nuit
et seul j'ai accroché la croix à mon cou:
j'étais le plus diligent des chanteurs du chœur
or jamais je n'avais atteint le clocher.

Maintenant, cette croix que j'avais dorée,
j'allais la rendre aux moines de la presqu'île
entourée par la sécheresse criarde de barbelés
et accessible par mer aux seuls serviteurs de Dieu.

Des années on m'a préparé moi aussi à servir ici,
mais l'or des dômes déjà se craquelait
et sur les crucifix du Christ les frères
dans les cellules fixaient des cornes.

Au moment où je me décidai à les quitter,
fortifiant mon esprit avec les termites de l'icône,
ils m'envoyèrent faire descendre la croix
et nous chassèrent loin d'eux, elle et moi.

Ainsi je ne pus devenir serviteur, mais
j'étais encore bon nageur et je franchis
la ligne côtière, jadis comme aujourd'hui,
sans que les autorités me voient, avec au cou la croix.

… les frères me repérèrent de loin, des larmes aux yeux,
dans le temple pour la soupe ils soufflaient sur le feu
et seule une poignée, guère plus, était restée ici,
ils caressaient la croix, l'embrassaient comme si c'était le Christ.

Les autres s'étaient enfuis – par terre et par mer,
d'autres encore entassaient dans le monte-charge
les âmes des noyés ; heureusement,
ils ne m'avaient pas forcé alors à faire descendre le clocher…

Traduit du bulgare par Marie Vrinat

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